MAIL DE DENIS
Salut,
Ci-dessous un mail de notre chef de chœur.
Pour le programme, il me l'envoie promis demain matin
Le mail du chef :
"Pour vous faire patienter je vous mets en pièce jointe un peu de lecture d'actualité car les choristes sont toujours demandeur et veulent toujours savoir comment s'est passé notre dernier concert
J'ai récuperé ce texte sur le blog d'une chorale en Alsace : il en donne une image très humoristique du déroulement du concert .... mais tellement réel
Denis"
Voilà le texte en question :
Le jour tant attendu du concert est arrivé. C'est la validation des efforts accomplis, la juste
récompense d'une année de labeur. C'est l'aboutissement, la raison d'exister de la chorale (il justifie
les subventions) en même temps que l'occasion de montrer à tous ce dont on est capable.
Car on va pouvoir prouver aux incrédules que l'on n'est pas si ignare qu'il y parait, qu'on a su
ingurgiter des pages entières de musique sans se tromper et justifier, au passage, auprès de son
conjoint, ses longues absences répétées. Aussi au moment d'entrer sur scène, chacun ressentira-t-il
au fond de lui comme un mélange assez équilibré de fierté et d'angoisse.
Le chef, toujours inquiet, a convoqué ses choristes deux heures avant le lever du rideau, sachant
pertinemment que la majorité d'entre eux sera en retard. Mais peu à peu les effectifs se gonflent.
Puis c'est le moment d'entrer sur scène. En bon ordre, les choristes s'avancent alors. C'est une file
indienne un peu en accordéon, car il y en a toujours qui dorment debout ou qui ratent une marche.
Aussitôt les applaudissements se déchainent. On n'attend que le chef. Le voici en queue de peloton.
Il s'avance d'un pas assuré, lance un regard de convenance vers la salle puis tourne le dos à la salle
et se plante devant ses chanteurs. Tout le monde est prêt, concentré. Courageusement, le chef
se jette à l'eau et d'un geste vigoureux donne le départ. Et soudain, il est surpris d'entendre les
premières phrases avec une justesse qu'il n'avait jusqu'alors obtenue qu'en rêve. Consciencieux,
les choristes ont le nez dans leur partition pour suivre les paroles, sinon pour lire la musique. Car
traditionnellement, ils ne regardent jamais le chef. Ce dernier fait pourtant tout ce qu'il peut pour
attirer leur attention. Sauf entre les morceaux car là, il tourne le dos aux choristes pour saluer et
alors chacun se comporte à sa manière. L'un remet de l'ordre dans ses partitions, l'autre, croyant
qu'on ne l'entend pas, glisse une pertinente plaisanterie à l'oreille de son voisin, beaucoup font un
signe discret vers la salle où ils ont aperçu des amis, d'autres encore changent de jambe, histoire
de rééquilibrer leurs fameux appuis. Quelques enroués se raclent la gorge ou encore exécutent des
mouvements d'assouplissement (torsion des cervicales et extension des mandibules). Seuls, un ou
deux, les yeux rivés au plafond et la bouche entrouverte attendent placidement la suite.
De morceau en morceau, le concert avance. Certes, on a oublié les recommandations tant et tant
serinées en répétition, mais seuls le trac et l'émotion en sont la cause. Le chef se démène comme
un gros ours. Se rend-il compte que ce gros dirigeable est ingouvernable ? En toutes circonstances,
il est inquiet "que vont-ils me faire maintenant ?". Et cependant, la musique s'écoule, agréable. A
l'entendre, on dirait que tout est bien réglé et que chacun sait parfaitement sa partie.
On parvient ainsi jusqu'à l'entracte. C'est un moment particulier. On est encore tout imprégné des
sons que l'on a produits, tout fourbu des efforts que l'on a fournis, c'est un moment de détente,
mais pas vraiment. L'angoisse de la suite règne encore. Le chef tente bien quelques compliments
de circonstances (à cet instant précis, il ne peut déverser toute la fureur qui stagne en lui), il tente
de rassurer : "c'était bien les altos, vous n'avez presque pas baissé ... les basses, pas trop fort ...
les sopranes, vous pouvez vous lâcher". "Et nous ?"S’inquiète un ténor. "Vous faites comme vous
pouvez" répond le chef ! Mais déjà le public a repris sa place dans la salle. Il faut y retourner. Le chef
compte ses troupes car c'est toujours ce moment que choisissent les femmes pour aller faire pipi.
Finalement la deuxième partie se déroule tant bien que mal et, enfin, le terme de la prestation
arrive. Beaucoup se relâchent déjà. Le plus dur est passé. Il ne reste plus que le grand final qu'on
a répété tant de fois qu'on le connait par cœur. Déjà le chef se détend. Un semblant de sourire se
dessine sur son visage déconfit. Puis il se reprend "leur redonner confiance, les tenir concentrés
jusqu'au bout". Il donne alors la note et dans une ultime impulsion, chacun se précipite sur l'accord
libérateur. Les applaudissements fusent. On est content, chacun est satisfait de soi, d'avoir rempli
son contrat, d'avoir sur dissimuler ses hésitations par un savant art du play-back, d'avoir été
applaudi. On se congratule avec une authentique fausse modestie et surtout, on attend le verdict du
chef, ses probables compliments ... il est sûrement content lui aussi. Et En effet, le chef est content.
Content d'en avoir terminé ! Mais c'était un magnifique concert. Le public a été emballé (en France,
le public aime toujours). On a déjà oublié que les ténors ont raté plusieurs départs, que les altos ont
perdu un demi-ton dans leur passage solo, que les nuances tant peaufinées en répétition ont été
sabotées, qu'on a sauté une reprise ... mais non ! C’était sublime. Et puis on n'est pas des pros, on a
fait avec ses moyens et c'était bien. Très bien pour des amateurs. Puis après une troisième mi-temps
libératrice, chacun rentre chez soi, les oreilles encore pleines de cette musique et des étoiles dans les
yeux.